30 mars 1548

Lettre de rémission

(Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, B 25)

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Les lettres de rémission, dites également lettres de pardon, sont des sources désormais bien connues des historiens. Comme le définit Claude Gauvard, ces documents sont des actes de chancellerie émanant directement du pouvoir souverain du prince, qui pardonne un crime commis et l’efface. Ces actes sont la plus directe expression du prince justicier, rendant directement la justice sans intermédiaire. En ce sens, outre des outils judiciaires, ces lettres sont une forme d’expression du pouvoir souverain et donc, pour le prince, une manière d’affirmer son autorité sur une juridiction ou un espace en se montrant comme le dernier ressort de la justice.

Les originaux sont expédiés au récipiendaire sous forme de chartes scellées, et n’ont été conservés que très exceptionnellement. Ces actes sont toutefois enregistrés, c’est-à-dire littéralement copiés dans des registres conservés par les chancelleries. Dans le duché de Lorraine, ces grâces, pardons et rémissions sont conservés dans les registres des lettres patentes. Emmanuel Gérardin comptabilise 2983 lettres de pardon données entre 1473 et 1633. La production est donc considérable.

D’un point de vue diplomatique, ces lettres reprennent dans le dispositif, l’exposé des événements qui mènent à la prise de décision, le discours du suppliant ayant expédié une demande de grâce. Elles donnent des descriptions précises devant montrer au duc le caractère accidentel du crime perpétré, prouver un cas de légitime défense, ou tout du moins démontrer que le crime est rémissible eu égard aux circonstances. Le vocabulaire employé plaide parfois pour une copie stricte de la demande de pardon, insérée dans les parties plus normées de la lettre de rémission lorsque celle-ci est accordée.

Ces sources sont extrêmement précieuses pour l’historien puisqu’elles donnent à voir un instantané de la vie quotidienne et du vécu des populations strictement contemporaines et actrices des événements narrés. Les discours vont dans le sens de la rémission et présentent les événements sous un jour favorable pour le demandeur, mais les réalités matérielles et situationnelles sont au plus proche du quotidien vécu par les populations.

Comme tout sujet peut présenter une demande de pardon, ces textes sont des sources d’histoire sociale et les traces de la parole des simples sujets des princes. En monnayant les émoluments d’un scribe rédacteur spécialisé en droit, un suppliant analphabète ou illettré peut dicter sa déclaration et sa présentation des événements, et le rédacteur assure la préparation d’une lettre organisée et conforme aux attentes formelles du conseil ducal. En ce sens, même des sujets lettrés doivent faire appel à un spécialiste pour porter au conseil ducal une requête conforme.

La première lettre présentée ici est donnée par Chrétienne de Danemark et Nicolas de Mercœur, régents de Lorraine, au nom du jeune duc Charles III (1545-1608). La seconde lettre est donnée par ce même duc, devenu majeur.

Références :

Gauvard Claude, « De Grace especial » : Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991.

Gérardin Emmanuel, Le crime et le pardon : les lettres de rémission des ducs de Lorraine (1473-1633), thèse de doctorat d’histoire de l’université de Strasbourg, soutenue le 9 octobre 2020 sous la direction d’Antoine Follain.

Lalière Frédéric. « La lettre de rémission entre source directe et indirecte : instrument juridique de la centralisation du pouvoir et champ de prospection pour l’historien du droit », in Musin Aude (dir.), Violence, conciliation et répression, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2008, pp. 21-65.

Musin Aude, et Nassiet Michel, « Les récits de rémission dans la longue durée. Le cas de l’Anjou du xve au xviiie siècle », dans Revue d’histoire Moderne et Contemporaine, vol. 57, n°. 4/4 bis, 2010, pp. 51–71.

Nassiet Michel. « Une enquête en cours : les lettres de rémission de la chancellerie de Bretagne au xvie siècle », dans Saupin Guy et Sarrazin Jean-Luc (dir.), Économie et société dans la France de l’Ouest Atlantique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, pp. 121-146.

Verreycken Quentin, « Discipliner par la grâce. Les lettres de rémission aux gens de guerre dans l’État bourguignon au xve siècle », dans Crime, histoire et société, vol. 22, n° 1, 2018, pp. 5-32.

Zenon Davis Natalie, Pour sauver sa vie. Les récits de pardon au xvie siècle, Paris, Seuil, 1988.