3 avril 1598
Lettres patentes d’expédition d’anoblissement de Nicolas Mauljean, maître échevin de Pont-à-Mousson, données par le duc Charles III de Lorraine.
(Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, 182 J NC)
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La noblesse se transmet par la naissance mais elle peut également s’acquérir et être reconnue, pour peu qu’un individu fasse preuve de sa vertu ou de son mode de vie noble. Le fait de s’illustrer au combat est la première et principale preuve de noblesse d’un individu, puisque la noblesse justifie ses privilèges en payant « l’impôt du sang » (Hervé Drévillon, 2005). La société d’Ancien Régime est en effet divisée en trois ordres qui se veulent complémentaires : ceux qui prient (oratores), ceux qui se battent (bellatores), et ceux qui travaillent (laboratores). Cette société d’ordre est réellement fixée à la fin du Xe-début du XIe siècle, notamment avec les écrits d’Adalberon de Laon (977-1030), et continue à se consolider juridiquement tout au long de l’époque moderne.
S’il existe une noblesse dite immémoriale, dont la famille est si ancienne de mémoire d’homme qu’elle n’a pas à prouver sa noblesse, il existe également des familles plus récemment anoblies, de plus en plus nombreuses à mesure que l’État moderne se constitue en créant des offices anoblissants, ou des dynasties d’officiers dont les mérites au service des princes sont récompensés par des anoblissements.
Le document présenté ici est un de ces anoblissements. Il s’agit en effet d’une expédition de lettres de noblesse sur parchemin, données par le duc de Lorraine Charles III (1545-1608), qui confirment et donnent la qualité de noble de son récipiendaire Nicolas Mauljean, le 3 avril 1598. Ce dernier est issu d’une famille de fidèles serviteurs du pouvoir ducal et notamment des maîtres échevins de Pont-à-Mousson dans le dernier tiers du XVIe siècle.
Ces lettres présentent toutes les caractéristiques de l’affirmation du pouvoir ducal qui reconnaît cette noblesse, mais également de la solennité et du prestige associés à une telle reconnaissance. Elle est scellée, du grand sceau pendant en cire verte du duc Charles III et contresceau aux armes de la famille de Lorraine, sceau qui est appendu au moyen de lacs de soie aux couleurs des armes données au récipiendaire, ici d’argent (blanc) et d’azure (bleu). L’imposante lettrine du « C » de Charles III, aux accents médiévaux, est très richement ornée et participe à l’éloquence, à la « rhétorique visuelle » (Peter Rück, 1991) du document. Le soin accordé à cette richesse ornementale contribue également à démontrer son authenticité (Olivier Guyotjeannin, 2011).
D’un point de vue paléographique, l’écriture est une écriture dite moderne, évolution directe de la chancelière (cancellaresca) typique de la deuxième moitié du xvie siècle, d’ailleurs très soignée, avec peu d’abréviations.
Le contexte de rédaction est particulier. Nous sommes en avril 1598, un peu plus d’un mois avant la signature du traité de Vervins, qui scelle la fin des guerres de Religion en France avec la reddition des derniers princes ligueurs, et la paix avec le royaume d’Espagne. Le duché de Lorraine, entré en guerre contre les Huguenots en 1587, fait partie des signataires mais est théoriquement déjà en paix avec le royaume depuis 1594, signature du traité de Saint-Germain-en-Laye. Cette guerre est coûteuse pour le duché, mais elle lui permet de se positionner comme une réelle puissance militaire, et contribue à renforcer l’image que le pouvoir ducal se fait de lui-même : celui d’un État fort, avec un prince souverain, guerrier, défenseur du catholicisme. Le fait de récompenser ceux qui l’ont servi permet de renforcer son pouvoir dans une logique clientéliste.
Car c’est bien une image de prince de guerre qui est exaltée sur cette lettrine, sur laquelle figurent un trophée d’armes, des masses d’arme, hallebardes, haches, boucliers et fût de canon. Mais c’est également en prince de la Renaissance protecteur des arts que le duc se montre dans cette ornementation, avec des musiciens, et notamment les deux femmes jouant du luth et du violon (encore que les joueurs de fifre et de tambour rappellent la musique militaire). Ce programme iconographique glorifie la Maison de Lorraine en proclamant sa richesse, sa puissance, et en montrant le duc comme protecteur de ses États et victorieux dans ses guerres. Cette patente rend donc bien compte de l’expression du pouvoir souverain, qui confère cette nouvelle qualité de noble.
Éléments de vocabulaire et identification des lieux :
Armet mort : en héraldique, désigne un meuble figurant un casque sans visière.
Componé : en héraldique, désigne une garniture d’émaux alternés, divisés en parts égales.
Émaux/émail : en héraldique, désigne les couleurs qui ne sont pas des métaux (or/jaune et argent/blanc).
Fesse : comprendre ici « fasce », qui désigne en héraldique une pièce honorable figurant une bande horizontale placée au centre de l’écu.
Maître-échevin : dans le duché de Lorraine, les échevins sont des officiers de justice nommés par le duc ou élus par les bourgeois d’une municipalité. Le maître-échevin a la préséance et préside leur assemblée.
Pont à Mousson : Meurthe-et-Moselle, arr. de Nancy, c. de Pont-à-Mousson.
Références :
Analyse et traitement informatique de la langue français (ATILF), Dictionnaire du moyen français, CNRS, Université de Lorraine [base de données en ligne sur le site du laboratoire ATILF, consulté le 8 novembre 2024,
URL : https://www.atilf.fr/ressources/dmf/ ].
Drévillon Hervé, L’impôt du sang : le métier des armes sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 2005.
Fersing Antoine, Idoine et suffisant. Les officiers d’État et l’extension des droits du Prince en Lorraine ducale (début du XVIe siècle-1633), thèse de doctorat d’histoire de l’université de Strasbourg, soutenue sous la direction d’Antoine Follain, Strasbourg, 2017.
Guyotjeannin Olivier, « Notions de diplomatique », dans Diplomatique : cours « Parties du discours », Paris, École des chartes, juillet 2011 [en ligne sur Theleme, site de l’École nationale des Chartes, consulté le 30 octobre 2024, URL : http://theleme.enc.sorbonne.fr/cours/diplomatique#index_1].
Motat Anne, Noblesse et pouvoir princier dans la Lorraine ducale (1624-1737), Paris, Garnier, 2016.
Rück Peter, « Die Urkunde als Kunstwerk », in von Euw Anton et Schreiner Peter (dir.), Kaiserin Theophanu. Begegnung des Ostens und Westens um die Wende des ersten Jahrtausends, Köln, Schnütgen-Museum, 1991, pp. 311-333.