Dès la fin du XIV
e siècle, à l’exemple du roi de France, les princes lorrains ont anobli par lettres patentes leurs serviteurs les plus zélés. Ce phénomène, peu important jusqu’à l’arrivée de René I
er d’Anjou, duc de Bar et de Lorraine en 1431, s’est accru doucement sous son règne. C’est cependant sous le principat de René II de Lorraine (1473-1508) qu’une véritable politique d’intégration des nouvelles élites au second ordre s’est mise en place. Le phénomène, jusque-là marginal (une trentaine d’anoblissements avant 1473), connaît alors une réelle accélération et une augmentation significative du XVI
e au XVIII
e siècle. Plus de mille lettres d’anoblissement furent concédées par les ducs de Lorraine de 1473 à 1737. Les lettres de Stanislas, duc de Lorraine de 1737 à 1766, différentes formellement, n’ont pas été incluses dans le corpus.
Ces lettres d’anoblissement sont connues grâce aux recherches de Dom Pelletier, un émule de Dom Calmet, qui a dressé un armorial des anoblis lorrains. Il put l’établir notamment grâce à la documentation rassemblées par les hérauts d’armes et aux registres des lettres patentes des ducs encore conservés aujourd’hui aux Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. De ces plus de mille lettres, moins d’une centaine d’exemplaires originaux ont été repérées jusqu’à ce jour.
Les plus anciennes lettres d’anoblissement conservées ne mentionnent pas la concession d’armoiries. Il faut attendre le règne de René Ier pour qu’elles en soient systématiquement pourvues. Par ailleurs, le modèle diplomatique de ces lettres patentes se fixe sous le règne de ce prince. Du point de vue formel, les lettres de René Ier, de Nicolas d’Anjou et de René II sont du même type. L’initiale est ornée, mais l’effort porte surtout sur la représentation des armoiries du nouveau noble ; blasonnées dans le corps du texte, elles sont peintes en bas à droite et protégées par le repli. À partir du règne d’Antoine, l’initiale s’orne des armoiries ducales et le modèle est définitivement fixé ; il atteint une forme de perfection sous Charles III. Dans leur forme, les lettres d’anoblissement lorraines sont uniques, de grand format, elles jouent sur une opposition du protégé / caché et du montré / exposé qui met particulièrement en valeur le pouvoir ducal.
L’anobli est bien au cœur de l’acte et son changement de statut prévaut. La concession d’armoiries le manifeste pleinement comme en témoigne le soin apporté à leur représentation, ainsi que la formule qui précède leur blasonnement :
Et en signe de noblesse et pour décoration d’icelle, avons (…) donné et donnons les armoyries telles que cy dessoubz elles sont emprainctes, avec puissance de les porter et en user en tous lieux, comme autres nobles ont accoustumé user de leurs armes (…)1
Incontestablement cet octroi d’armoiries valorise le récipiendaire et lui permet d’affirmer son nouveau statut social. Pourtant, l’ordre social est respecté car les armoiries, sous le repli, sont invisibles alors que celles du duc, ornant l’initiale, sont les premières à être vues et à proclamer la majesté du prince.
Enluminées par des artistes au service de la cour ces documents constituent parfois les seules illustrations des pratiques picturales lorraines du temps. Les documents ici présentés forment une galerie où s’exposent notamment des artistes comme Barthélémy d’Eyck, Médard Chupin, Balthasar Crocq, les Callot ou encore Claude Charles.
Bibliographie sommaire :
Dom Ambroise Pelletier,
Nobiliaire, ou armorial général de la Lorraine et du Barrois, Nancy, 1758.
Jacques Choux, « L’armorial de la famille Callot. Nancy, XVII
e s. »,
Lotharingia, IV (1992).
Jean-Christophe Blanchard, « L’héraldique des anoblis dans les duchés de Lorraine et de Bar des origines (1363) à la fin du règne de René II (1508) »,
Publication du Centre Européen d’Etudes Bourguignonnes (XIVe-XVIe s.), 37 (1997), p. 239-262.
Idem, « Quatre lettres d’anoblissement de Nicolas d’Anjou, duc de Lorraine (1470-1473) »,
Lotharingia, XVIII (2013), p. 101-109.
Idem, « L’anoblissement, un instrument au service de la construction de l’Etat ? Le cas barrois sous le règne de René II », dans Jean-Christophe Blanchard et Hélène Schneider (éd.),
René II, lieutenant et duc de Bar (1473-1508), Annales de l’Est, n° spécial (2014), p. 75-99.
Idem, « Ennoblement and the control of grants of arms in sixteenth-century Lorraine »,
Virtus, 29 (2022), p.9-33.